####En art

Les vanités

En histoire de l’art, lorsqu’on parle de vanité, on la fait souvent débuter dans la peinture flamande du XVe siècle.

Elles sont des compositions où l’on rencontre le plus fréquemment des symboles du temps, de la brièveté de la vie, de la mort et de la résurrection. Conçu comme des allégories métaphysiques et spirituelles, les vanités nous invitent à réfléchir sur le sens de l’existence et la vie après la mort.

Composées d’éléments tels des fleurs, fruits, orfèvrerie, figures qui ont d’autres fonctions que de la décoration, les vanités ne sont pas à confondre avec de simples natures mortes, car la nature morte, moins explicitement allégorique, n’apparaît que plus tard, engendré par les vanités.

 Les symboles peints de richesses (couronnes, armes, tabac, parures, festins), de savoirs (livres, instruments scientifiques, art) ou de jeux sont mis côte à côte avec des symboles de morts, typiquement le crâne humain ou bien des symboles du temps qui passe (sabliers, bougies, fleurs fanées, …)  les vanités proposent une radicale et puissante méditation sur la relativité du passage humain. Il s'agit de remettre en question les biens terrestres, de la joie du présent et de l'existence en montrant leurs essences pour le moins fragiles et éphémères face à la finitude. Ainsi, en peinture, les vanités cherchent à montrer l'insignifiance de toutes choses face à la mort à l'aide d'un contraste fort  entre des symboles de vie et d'autres de mort.

 
 

Le dit des trois vifs et des trois morts

Trois vivants, ecclésiastes, nobles ou seigneurs rencontrent en chemin trois cadavres. Les morts leur imposent la rédemption de leurs richesses, valeurs et pouvoirs en indiquant que rien ne sera emporté après leurs morts. Voilà le thème commun des dits des trois vifs et des trois vivants, narré dans une vingtaine de manuscrits européens des le 13e siècle. Au début, de simples illustrations accompagnent les poésies, par la suite, le thème est repris en centaines de fresques avec de nombreuses variations sur la scène représentée. Les cadavres sont calmes ou agressifs, les marcheurs ne sont points étonnés ou bien, devant les putrides, fuient à cheval. Les vivants ont ici le choix de se repentir ou non, choix qui n'est plus offert plus tard, dans la danse macabre.

 
 

 

 

La danse macabre

La danse macabre fait ses premières apparitions en peintures sur les murs des églises et des cimetières d'Europe du nord aux XIVe siècle et est un thème fréquent jusqu'au XVIIe siècle, elle est aussi transmise à travers le continent par des troupes de théâtre de rue. L'une des plus anciennes figurations de Danse macabre connue apparaît à Paris, en 1424 au cimetière des innocents. Pour certaines des plus fameuses, on peut citer le peintre et sculpteur Bernt Notke (1435, 1517, Lübeck).

La danse macabre met en scène des morts, des squelettes, dansants joyeusement une farandole avec des vivants. Le plus souvent, les vivants sont issus de provenances diverses et représentent tous les statuts sociaux de l'époque. Du clergé ; pape, cardinaux, évêques, abbés, au monde laïque ; empereurs, rois, ducs, comtes, chevaliers, médecins, marchands, usuriers, voleurs, paysans, enfants innocents, jeunes, vieux, riches ou pauvres. Elle est habituellement accompagnée d'un vers faisant s'adresser la mort aux vivants, suivi de leur réponse.La danse macabre est un avertissement au caractère éphémère de la vie ainsi qu'un appel à l'égalité entre tous devant l'inévitable. Avant cette forme de représentation, la danse macabre s'exprimait dans la poésie, tel des Vado Mori « prépare toi à mourir ». Comme ce passage tiré de Le Respit de la mort  de Jean Lefèvre en 1376 « Je fis de Macabre la danse, Qui tout gent maine à sa trace E a la fosse les adresse. »

La danse macabre ne manque pas de fasciner, l’œuvre est forte par son contraste entre les vivants et la mort, amplifié par la joie d'une danse et de la musique représenté. Elle donne une mystérieuse impression d’allégresse à se laisser entraîner face à la fatalité.

 

 

La jeune fille et la mort

L’allégresse funèbre de la danse macabre est poussée jusqu'à l'érotisme avec le genre artistique de la jeune fille et la mort.  Représentation picturale apparue des le XVIe siècle., déjà présente dans la plupart des danses macabres. Elle évolue en développant un lien entre la sexualité et la mort. Ses racines remontent pourtant aux mythologies Grecques, par exemple celle ou Perséphone, jeune déesse insouciante, est enlevée dans les abysses par Hadès le dieu des enfers.  En 1517, Niklaus Manuel Deutsch (1484,1530, Berne) représente un morbide et squelettique amant, mettant la main sur le sexe d'une vierge. Le contraste entre le défunt et l'innocence de la vie est alors à son comble. Pire encore que de se laisser aller à la fatalité dans la joie d'une farandole, il est ici montré, plus que suggéré, un désir qui va jusqu'à la volonté d'épanouissement dans une fusion sexuelle avec l'occulte.  

Par la suite le thème est repris par de nombreux artistes. Comme Hans Baldung Grien(1484, 1545) en 1517 ou bien Edvard Munch dans une eau forte en 1894. Chez ce dernier, la jeune fille étreinte et séduit elle-même la mort, comme si la fatalité n'avait plus là son pouvoir d'emprise, d'angoisses et de peur. La mort est extatique chez Munch, elle est séduite et dominée pour en tirer jouissance.

 
 

 

Le triomphe de la mort

L'art n'a cessé de représenter la peut-être toute puissance de la mort, ici dans des combats voués à l’échec. De grandes batailles entre vivants et morts ou s'étendent famines, discordes, guerres sur les humains, qui sont encore une fois, de toutes origines sociales confondues. Une des plus anciènne fresque de triomphe de la mort, en Italie vers 1365, attribuée à Francesco Traini, entasse cadavres et vivants insouciants, sous la faucheuse qui surplombe la scène. Albrecht Dürer dans une série de gravure portant sur apocalypse, la fin du monde, représente famine, discorde, mort et guerre sous les traits de Quatre Chevaliers de l'Apocalypse.  Ils détruisent les hommes et femmes sur leur passage. Alfred Rethel, en 1848 dans une gravure nommée Mort triomphante s'est inspiré de la répression sanglante de la révolution de 1848. Elle représente la Mort comme vainqueur de la révolution réprimée. Du même auteur, en 1851 une autre gravure ; La Mort égorgeuse, un squelette avec un violon en main fait fuir les autres musiciens pendant un bal masqué du carnaval de Paris.  

De rethel toujours, en 1851 la gravure la Mort comme amie est cette fois une représentation positive de la mort. Elle est toujours vue triomphante et inéluctable, mais à présent, amicale et paisible. En effet, il s’agit d'un sonneur de cloche, semblant endormi sur son fauteuil au coucher du soleil. La mort est venue sonner les cloches à sa place d'un air affectée.

Dans la même optique, au XVIe siècle, non attribuée et peinte sur un mur d’un ossuaire suisse, la mort est montrée secourable envers les vivants. Un homme est poursuivi par des brigands. Il se réfugie dans un cimetière, s’agenouille et prie pour de l'aide. Les morts, reconnaissants des prières que le pieux homme a faites pour le repos de leur âmes, se lèvent et sortent de leurs tombes, armés de faux et de bâtons, pour le défendre. La mort n'est donc ici plus imagée comme une menace, et devient un secours surnaturel pour celui qui l'a invoqué.

 
 

 

Plus contemporain, non européen

Au Mexique, la fête des morts actuelle est un mélange de culture précolombienne et chrétienne. Elle a été l'occasion de voir émerger des symboles de mort tels la calavera. La calavera est une représentation artistique de crânes souvent ornée de symboles festifs, comme des fleurs et des couleurs. Le graveur et illustrateur José Guadalupe Posada (1852,1913) en a réalisé de nombreuses dans un esprit complètement différent des représentations chrétiennes de la mort. Se rapprochant des danses macabres médiévales, le trépas va ici de pair avec les festivités. Elle accompagnent souvent les calaveras literaria qui sont des sortes de satires caricaturales de personnages influents qui sont alors moqués par la mort rencontrée. Autre forme de calavera mexicaine ; la Cathrina. Elle est un squelette de femme richement parée et reconnaissable à son grand chapeau qui accompagne également les festivités de la fêtes des morts mexicaine.

 
 

On pourrait encore citer l’esthétique mortuaire japonaise avec le ankoku butô, puissamment fascinante de faire ressentir et faire entrer le glas par les arts du spectacle et bien d'autres pratiques artistiques, à toutes époques, sur tous continents, ayant, directement ou indirectement le même horizon, la fin.

 
 

 Memento mori

 Cette première partie avait pour ambition d’énumérer quelques thèmes principaux où la mort se retrouve en position explicite. Une courte liste d'exemples qui n'est absolument rien comparé à l'ampleur des œuvres d'auteurs ayant travaillé avec l'idée consciente ou inconsciente de l'au-delà. En résumé de ce tour d'horizon non exhaustif de la présence de la mort dans l'art, la vanité, le dit des trois vifs et des trois morts, la danse macabre, la jeune fille et la mort, le triomphe de la mort, les calaveras, la cathrina sont tous des thèmes de Memento mori (En latin : « souviens-toi que tu mourras »). Même si ces exemples sont pour la plupart tirés de l'époque médiévale et ont perduré dans la renaissance, le genre artistique du Memento mori n'a pas vraiment d'âge, on le trouve sous de multiples formes à toutes les époques et dans toutes civilisations. Le memento mori peut-être vu comme message moraliste religieux, mais également comme s’essayant à figurer l'au-delà après la mort, répondre à l'angoisse qu'elle suscite, mais permet par la même occasion de faire entrer le vide dans la connaissance.

Notre univers de connaissance est limité par l’inconnue de ce qu'il ne s'y trouve pas, l'ailleurs. Nous en connaissons cependant un seuil d'entrée, celui de la mort. Par ses représentations, le memento mori est un médium de la mort dans notre univers. Comme d'autres genres artistiques, en s'essayant à figurer l'inconnu, il participe à  la perméabilité de notre monde à l'autre, l’au-delà. Il est un exemple d'imprégnation par le moyen artistique, de morbide, d'au-delà, de surnaturel, d'interprétation du vide dans le monde vivant humain.

Est-ce donc un principe artistique essentiel et nécessaire au mouvement créateur que de devoir consciencieusement affronter le néant et la vacuité des choses en partant de la finitude ?