####La mort dans l'ouvrage, une porte ?

 

 

 

 
 

Position 1

En premier lieu, le subjectif est visé, détériore, annihilé dans le cas ou l’auteur se place du point de vue de l’objectif.

 -Que ce soit une position religieuse, ou l'art est vecteur d'objectivation en se plaçant en intermédiaire, détruisant le profane, la réalité immédiate et sans signification du sensible tel que suggéré par Durkheim. Tout ce qui est érigé en l'honneur du sacré, par une intention qui respecte l'idée d'objectivité. Des œuvres souvent grandiloquentes faites pour s'y reconnaître, c'est à dire, se perdre au-dedans, faites pour ingérer le profane en le sacralisant. Des œuvres religieuses, fastueuses, telle des cathédrales, ou l'immensité des architectures on souvent pour effet de provoquer la perte de soi par vertiges et impression d'infériorité devant un « tout puissant ». Ou bien des symboles patriotiques, nationalistes, de clans, des blasons, écussons, drapeaux, chants militaires, etc. Tout ce qui est construit sur un mode identitaire, ralliant les sujets plongés en confusion, sous un tiers représenté comme omniprésent, puissant par des artifices englobants. Là ou ce qui est épuisé n'est autre que la réalité sensible par des œuvres représentant l'idée d'infini, offrant un chemin vers l’éternité. La beauté sera trouvée là ou s’abolit les perceptions, par la mort du sensible et de soi. Stupéfaction, sidération, et autre procédés transcendants, jusqu'à en être parfois agressif. C'est aussi l'art du portrait, car quoi de plus macabre que de rendre un visage, une individualité, figés en une pose sacrée et éternelle, donnant l'expérience limite de la perte de soi. Tout ce qui provoque un enchantement, à la seule condition d'un désenchantement de soi, qui pousse au dessus de soi-même. L'art des reliques, de la « grande musique » qui ne provoquent pas un retour sur soi-même, une réappropriation du merveilleux. Rendant inépuisable un produit, un objet, par défaut et si il y en a un, c'est aussi l'art de la publicité qui est lugubre.

 
 

Position 2

En deuxième lieu c’est l’objectif qui est tué.

 -Point de vue de Stirner, l'objectif est nié, mais il perdure l'individualité, en un sens proche de celui de nature, mais une nature individuelle sans cause, indéterminé. Aristote dit « La nature est éternelle non les choses. »1  La nature, c'est soi-même qu'on ne peut tuer. Alors que l'objectif, l'extérieur est sans cesse rabaissé dans sa possibilité de gêner le développement de son propre empire. Ce n'est plus « je pense donc je suis », mais « j'ai donc je suis ». Il s'agit d'un art de posséder et de ramener l'objectivité en son néant intérieur, de ne plus considérer que les choses autres que soi-même soient dotées d'une cause en soi et d'exprimer leur chute. Pour exemple, c'est la satire, le pamphlet comme art, mais c'est aussi la recréation libre et positive, le monde est mien. Il ne perdure pas pour autre chose que pour « mon bon plaisir », si il essaie, je le renvois à rien et fais œuvre avec sa destruction. La société, la religion etc., sont choses mortes en elles mêmes, à moins d'inverser le sens d'utilité. Ce sera le jeu. L'art de la recréation, comme une récréation.

 
 
 
 

Position3

En troisième lieu, le subjectif est mis en vanité en même temps que l’objectif.

 -Soit la position de l'artiste est semblable à celle de Hegel, le sublime est révellé si l'esprit, essence du monde, se révèle dans le mouvement qui va de l'objectivation de soi-même en se terminant, à la réintégration de l'objectif par le même procédé, et ainsi de suite. Catégorie, d'un art non fixable et en fait, plutôt « violent » dans son mécanisme. La forme est censé montrer le mouvement absolu de l'existence qui se passe par cette double négation.

 -Ou à la façon de ses continuateurs, par exemple Bataille qui rencontre la création dans l’expérience limite qui n'a plus de projet. Ou l'infini est approché par le supplice et le sacrifice à la fois du subjectif rendu incertain, que de l'objectif menaçant de la beauté de sa morbidité. Ou bien d'Adorno qui défend la mise en contradiction objective qu'on retrouve selon lui dans tout art qui essaie de manifester l'irreprésentable. L'insolubilité du réel pour y plonger le sensible. Un art qui ne peut être compris, qui ne peut être cru. Quand l'inépuisable de l'infini objectif, mis en contradiction se donne a être vécu. Il y a déploiement formel,lorsque le concret devient l’abstrait, puis redevient concret, toujours en mouvement, insaisissable et fuyant. Quand la fausseté de la vérité est vraie. Ce sera une forme allant en spirale, un art cherchant en boucle, par l'épreuve des négations. Une sorte de machinerie productrice d'absolu éphémère. Un art actif, toujours présent, d'action, de performance. La mort en compétition, la course à l'absolu et à la liberté se traduit alors de manière plutôt violente. Là ou il y a de l'action. Que l'on pense à tout ces films d'action ou tout le monde meurt à chaque instant, des Schwartzeneger. Plein la vue, déchirant les héroïnes au milieux d'un spectacle de fin du monde. C'est de l'art participatif, du jeu vidéo de guerre, ou encore et toujours, l'existant, les peuples ou les combattants s’affrontent. éternellement, où on prend place au milieu, vivant l'absolu du mouvement. Ce sont les grandes scènes de combat en peinture classique, la ou la mort est vécue par le spectateur. C'est la beauté de l'ouverture sur l'infini  du mouvement éternel. La non-survie au milieu des hostilités, la fin de soi avec la fin du monde à chaque instant.  

 

 -Ou bien que le point de départ de la création se situe a la façon de Schopenhauer, l'objectivité considéré comme inatteignable et inexistante, dans l'idée de sublime et du nirvana atteint en s'extirpant également de soi-même, façon romantique en exprimant le monde contemplé dans son ensemble, dans sa vanité.

Le seuil se situe alors lorsque la volonté, s'exprimant dans la reproduction et ma perduration du conatus est présenté dans toute sa splendeur. En film récent, pensons à Enter the void de Gaspar Noé, qui tout du long se déroule au milieu d'orgie, de sexe, de luxure.

 

 
 

Dans ces trois positions, suivant ce qu’ils finissent, subjectif, objectif, les deux, l'oeuvre d'art se place comme intermédiaire. Dans l'une, le geste créateur est similaire à une entrance débouchant tout droit sur l'objectivité. Dans l'autre, c'est une entrée directe en soi-même, tandis que dans les positions suivantes, c'est une porte dont on ne sort pas, tel un escalier en colimaçon qui évolue à l'infini. Ou bien c'est une porte s'extirpant de l'intérieur et de l'extérieur, qui reste ouverte et ne débouche sur rien de réel.

Ce texte n'est pas un historique précis et exhausitf de la mort dans l'art. Si peu de références et d'exemples ont été ajoutés au cour des thèmes abordés on peut tout de même se rendre compte que le rapport à la mort est présent dans toute œuvre. Seul varie l'emplacement de cette dernière, qui suivant l'endroit ou elle insère un vide, donne suite ou non à l'existence.

 
 
 
 
 
 
 
 

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1 Aristote, Mor, à Eudème VII, 2