#### vacuité

 

Du latin Vacuitas, la vacuité signifie espace vide, vacance, absence. Il peut s’agir d’un concept aussi bien que d'un sentiment humain de manque intellectuel ou d'absence de valeurs. Ce peut être un état d'esprit d'une personne désemparée par un manque de sens à l'existence. Un fait, une action, une chose sont sans intérêts, sans contenu, non digne d'attention ou d'acte. Cette vacuité est un vide de l'esprit, lorsqu'il n'y a que du relatif, que rien n'existe, ou la totalité du monde est dévalué. Lorsqu'une pensée ou un acte est imprégné de vacuité, il mène droit à l'abandon, au désenchantement et à la souffrance d'une conscience malheureuse.

L’existant dévalorisé est aux fondements de nombre de philosophies et se retrouve dans les arts depuis leurs commencements. Afin d’étudier ce que la création a à voir avec la vacuité, nous dresserons ici un rapide historique.

Les Sophistes

En Grèce antique déjà, elle se laisse apercevoir chez les Sophistes. À l’époque de Socrate, au Ve siècle av. J.-C., ils sont des professeurs, des orateurs « doués » d'une forte éloquence, développants un art de la parole et créant la rhétorique. Ils sont critiqués par Socrate et Platon de manière fortement péjorative, d'user d'impostures et de manipulations afin de tromper l'auditeur pour le persuader aux buts immoraux du parleur. Les Sophistes, maniant l'art du verbe ont exercés à l'encontre de la vérité et de la logique philosophique Socratique hérité de Parménide un siècle plus tôt. Ils contestent, sous la plume par exemple de Gorgias, dans sons traité sur le non-étant, la certitude de la vérité et sa compréhension par la logique et la raison que Parménide a instauré en philosophie. Parménide était un fervent défenseur d'un être absolu, intemporel qui n'a rien à voir avec l'opinion des hommes. Cette vérité permettait à ce dernier et aux suivants de bâtir une pensée du Beau, du Juste, du Bien, et finalement, des lois de la cité. Autant de valeurs qui, retrouvés entre les mains des Sophistes, sont réfutés par leur lecons, leur jeu du discours, leurs imprécisions de langage, aussi bien que des réfutations philosophiques argumentées. Protagoras en est l’un des premiers. En énonçant « L’homme est la mesure de toute chose », il affirme ainsi qu'un étalon de la vérité n'existe pas par lui-même au-dehors des aspirations de l'homme, de ses constructions relationnelles et non-objectives et que cette vérité n'est donc pas légitime pour influencer sa vie. Ainsi le sens, les comportements humains, les lois, les croyances n'ont plus de vérités transcendantes qui leur permettent d'être justifiés, il s'agit de relativisme.

Ce relativisme admet les contradictions, fait apercevoir la non-vérité, un en-dehors aux raisonnements, à la fausseté primordiale de tous jugements ou savoirs qui soient fiables et réels, en d’autre termes, il ouvre directement sur la vacuité, et l’expérience du vide du monde. En refusant l’existence substantielle, pour promouvoir le perpétuel devenir des choses non véridiquement définissables, les Sophistes ont su garder intact le sens du merveilleux, du non-compréhensible, de la joie à appréhender le monde dans sa différence et son instabilité. Enfin ils ont ouvert par la provocation d’avoir montré l’abîme de la non-raison, des contradictions, un accès au sentiment de vacuité.

Les Cyniques

En Grèce antique toujours, ils ne sont pas sans certains points communs avec les Cyniques. Vers 390 av. J.-C., le fondateur de cette école de pensée est Antistème et le plus provocateur et le plus connu de tous est Diogène de Sinope. Contrairement aux riches Sophistes, ils viennent en général du peuple et des exclus. Leurs buts est la sagesse et l’éthique de vie. Mais ils préconisent la simplicité en affirmant qu’aucun des deux ne s'enseignent par la philosophie alors en cours dans la cité Athénienne. Ils refusent en effet les valeurs vertueuses de cette époque, les jugeant n'être que vanités et luxe, et y opposent le souhait d'un retour à la Phusis ; la nature. Si pour les Sophistes, c'est la rhétorique et les aléas du discursif qui l'emportent sur la vérité, la forme sur le fond, ici, le discours est totalement vain et refusé, tout comme les études et le savoir. C'est en s'écartant de ces vanités qu'ils recherchent l'atuphia (absence de vanité), mais surtout qu'ils revendiquent une naturelle liberté en dehors des valeurs sociales. Ils affirment donc atteindre le monde de la pré-culture se dressant contre les conventions des hommes. Cette liberté, ou plutôt l'Autarkeïa, à savoir, l'indépendance de leur vie, ils l'a doivent avant tout d'avoir eux aussi admis les contraires, refusant la vérité en dehors de soi, institué en philosophie, qui sait si bien gouverner les hommes en se passant de la réalité de leur singularité, et régir les cités. Ce fut alors légitime pour les Cyniques de dissoudre l'édifice humain, de transgresser tous les interdits, de troquer le cosmos, ce monde clos bien ordonné de la société Grecque, contre un retour à la nature au-dehors, un univers que certains qualifieraient de chaos. C'est donc au nom d'une certaine vacuité ressentie à travers le cloisonnement de la pensée de la civilisation Grecque que les Cyniques vivent et perdurent dans les mémoires.

Les Sceptiques

Le Scepticisme, quand-à lui, à travers Pyrrhon son fondateur, admet également que « l’homme ne peut pas faire de différence entre les choses, ni du point de vue de la valeur, ni du point de vue de la vérité. », il est conscient que l’être ou la chose en soi est inatteignable, mais il conserve l’aspiration et l’effort pour s’en approcher. La connaissance est cependant loin d’être aussi dévalorisée que chez les Sophistes ou les Cyniques, mais face au doute, que l’on retrouve systématiquement à chaque étape de la progression du savoir et qu'ils ne peuvent ignorer, ils préconisent une imperturbabilité, une ataraxie qui est paix intérieure et absence de trouble devant le vide ou se heurte la connaissance. Leur mode opératoire passe par l'épochè, l'absence de jugement, car ils savent que le savoir dépend des perceptions qui sont soumises aux lois changeantes des représentations. En somme malgré l'absence de jugements et leur maîtrise de soi prônés, ils admettent également le néant et ont créé et formés leur philosophie sur base de vide, de la vacuité.  

Les Bouddhistes

On ne peut parler de vacuité sans aller voir du côté de la philosophie et/ou religion Bouddhiste, qui à la même époque que les Sophistes, vers le Ve siècle av. J.-C., s’est entièrement formée à partir d'un certain concept de la vacuité qui ici est appelée en sanskrit Śūnyatā. Il s'agit encore une fois de l'inexistence de la chose en soi, du Nouménal selon le terme de Kant. Les choses existent et ne sont définissables que par interdépendance aux autres. Leurs existences dépendantes d'autres phénomènes, sont sans essences propres, relatives, sans individualité et donc sans « être ». Les bouddhistes cherchent un éveil spirituel dans un monde impersonnel, impermanent et en changement constant. Ils voient cette seule réalité de la vacuité, cachée derrière le voile Maya en sanskrit, qui la couvre de ses illusions.  La vie terrestre, faite de désirs personnels et de jouissances matérielles, est décrite comme cause de souffrances. Désirer quelque chose, un bien, une compagnie, une richesse, est de fait une souffrance, car vécu comme un manque empêchant de réellement accéder à la plénitude. Quand-à l'obtention de l'objet désiré, elle n'est guerre plus cause de bonheur, car immédiatement, la personne s'en lasse, souffre d'ennui, et se met à désirer autre chose. Une éternelle insatisfaction qui cause les troubles, désordres, et maux de l'humanité, que vie après vie, dans la réincarnation, ou l'humain, mais aussi l'animal et toutes choses sont condamnés à reproduire. Il s'agit donc chez les Bouddhistes, par la méditation, de sortir de ces différents cycles régissant l'esprit non éveillé. De lever le voile sur cette répétition d'illusions, des cycles qui ne se laissent échapper que difficilement, empêchant d'atteindre au Nirvana libérateur.

Là est donc explicité une approche du vide ou il exprime sa puissance, son éternité, son omniprésence.

Le Qohelet

Parmi les grandes philosophies ou religions européennes s’étant faites sur une conscience de la vacuité, ont peut rajouter le judaïsme. La religion est bâtie autour de la bible hébraïque, dont un des textes de référence est le Qohelet. Ce dernier datant du IIIe siècle av. J.-C. Est connu également sous le nom de l’Ecclésiaste, c’est-à-dire, l'homme qui parle à la foule, il est probablement un de ces plus vieux textes où on retrouve sous une puissante expression, le sentiment de la vacuité.  

Attribué parfois au roi Salomon, l’ouvrage est quasiment dénué d’espoir quand-à la joie que pourrait procurer la vie. En effet, « sous le soleil » la vie du roi ayant accumulé de nombreux savoirs, s’étant toujours efforcé de faire du mieux qu’il pouvait pour son peuple, se retrouve tout de même dans le lot commun de la mort contre quoi il n’y a rien à faire. Ce texte est une sorte de mise en garde, désespérée et fataliste que sur terre, rien que nous ne fassions puisse conjurer la vanité de toute entreprise. Le savoir mène à un constat d'impuissance, de pessimisme, et la sagesse qui pourrait être un but à suivre, n'est plus ici d'aucune valeur. L'action humaine est ici dévalorisée au possible et affublé d'inanité, d'être insensée et futile. Le réel et la substance de ce qui fait la vie est disqualifié, éclairé par la sombre lumière du « noir soleil de la mort », et s'en dégage finalement toute la fragilité humaine, cette « fleur aux pétales de cendre ».

En somme

On peut déjà s’apercevoir que de tous temps face au « rien » s’est érigé diverses philosophies, religions ou sciences, soit pour tenter de s’en échapper, soit pour le prendre en compte et bâtir avec lui. En art, il en va de même, la vacuité en fait partie intégrante, et la définition de ce que l’art peut être se fait par rapport à elle, au vide. Par opposition ou par ouverture c’est ce que nous questionneront ultérieurement après un bref résumé de courants artistiques.